Montpezat, une usine souterraine à inscrire au « magistral tableau des victoires de la houille blanche »

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Sur le plan hydrologique, l’aménagement est assurément audacieux. Il s’agit de capter les eaux de la Loire et de ses affluents pour en dévier l’écoulement vers le versant oriental du Massif central, dont les vallées profondes permettent l’établissement d’une chute d’eau très importante au fort potentiel hydroélectrique. Les eaux déviées s’écoulent ensuite de l’autre côté de la ligne naturelle de partage des eaux, dans la Fontaulière, en aval de Montpezat, puis rejoignent le Rhône, et par là le bassin méditerranéen.

L’aménagement est aussi une prouesse technique. L’usine, intégralement souterraine et aux dimensions des cathédrales, est elle-même une réalisation unique en France. Depuis les bâtiments des services extérieurs, construits en bordure de falaise, l’accès à la salle des machines et aux deux groupes, équipés chacun de deux turbines Pelton à axe vertical, se fait par une galerie creusée dans le rocher et par un pont sur la Fontaulière, le tout incliné avec une pente de 55%. Un système de funiculaire à crémaillère facilite le transport des hommes et des matériels.

Outre l’usine, il a fallu construire 3 barrages de retenue sur la Veyradère, le Gage et la Loire. Tous ces réservoirs sont interconnectés par une galerie souterraine de 17km permettant de capter un bassin versant de 200 km² et constituant une réserve d’environ 40 millions de m3. Leurs eaux alimentent une galerie d’amenée d’eau débouchant sur une conduite forcée de 46% de pente et d’une chute brute de 640m à l’aplomb de l’usine de Montpezat.

Une des grandes difficultés a été le percement du lac d’Issarlès, réservoir et régulateur du système, exécuté sans vidange préalable du lac, sous 40 m d’eau, de 1947 à 1953. Point d’orgue du chantier, le jeudi 5 novembre 1953, le préfet Jeanjean en personne actionne à 11h19 précises le levier qui fait sauter le dernier « bouchon » : les eaux du Lac se déversent dans la galerie d’amenée, pour rejoindre provisoirement le Gage, l’usine de Montpezat n’étant pas encore terminée.

Contrairement aux chantiers rhodaniens de la même époque avec leurs importants travaux de terrassement, la majorité des travaux s’est ici effectuée sous terre, accentuant leur complexité et les rendant peu visibles du grand public. Pourtant de nombreux ouvriers ont œuvré dans des conditions de travail très rudes, dans l’obscurité et l’humidité des galeries. En octobre 1952, alors qu’une grève éclate - les ouvriers demandent le paiement d’une prime de panier journalière de 150 francs - on dénombre 1 400 ouvriers. A la main-d’œuvre locale s’ajoutent les employés de la Société générale d’entreprise, réalisatrice des travaux, qu’il faut loger à proximité des chantiers de Montpezat mais aussi de la montagne. Des prisonniers de guerre allemands du dépôt de Montélimar sont mis à contribution lors des travaux d’étude en 1947-1948.

Des petites « cités » ouvrières voient ainsi le jour le temps des travaux. Un logement pour le chef de division est même construit au Lac d’Issarlès. Une « cité EDF » est construite à Champagne, hameau de Meyras limitrophe de Montpezat, pour les employés d’EDF affectés à l’usine une fois celle-ci mise en service. Elle comporte 8 pavillons « doubles » d’habitation, destinés aux familles, et une maison d’accueil équipée de chambres, d’une cuisine et d’une salle d’accueil, certainement dédiée à l’accueil des employés célibataires. A proximité immédiate de l’usine, deux villas sont construites pour loger le chef d’usine et son adjoint. Aujourd’hui, à côté des grands équipements de génie civil, ces habitations sont la mémoire de cette aventure humaine.

Citation du titre : Le Dauphiné libéré, 6 novembre 1953.