Lettre de grâce et de rémission obtenue par François Henry au mois de septembre 1782

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François Henry, 15 ans, originaire de la ville de Condrieu, est mousse sur un coche du Rhône. À Glun, le 28 avril 1782, seul sur son embarcation, il est traité par dérision de « chat de barque » et querellé par des enfants de ce village qui lui jettent de la terre et du sable sur la salade qu’il doit préparer pour l’équipage.

Malgré ses demandes d’arrêter ces querelles et ses menaces de tirer en leur criant « gare le fusil » pour les intimider, les enfants continuent et le défient de tirer. Il prend alors le fusil que l’on garde dans chaque coche pour la sûreté publique et quelques fois pour chasser sur la rivière. Pensant qu’il n’est pas chargé, il en fait plusieurs fois jouer les ressorts sans effet. Soudain, il voit avec effroi le coup partir et tuer un des jeunes gens nommé François Luyton, âgé de 13 ans.

 

François Henry est arrêté et emprisonné dans la prison de Tournon le jour même et poursuivi à la requête du procureur juridictionnel du comté de Tournon. La sentence risque d’être la peine de mort. Le père de François Luyton, pourtant en deuil, est attendri par le sort du suppliant et renonce à toutes poursuites contre lui et même à toute demande de dommages intérêts, par un acte de désistement du 2 mai 1782.

 

François Henry adresse une demande de grâce et rémission au roi : « C’est en cet état que le suppliant s’est jeté aux genoux de sa majesté pour implorer la clémence et obtenir la rémission de la peine qui pourrait résulter de l’homicide involontaire qu’il a eu le malheur de commettre. […] Le roi a bien voulu avoir égard à l’humble supplication du supléant et en conséquence sa majesté lui a accordé des lettres de rémission ».

 

Cette grâce lui est accordée en septembre 1782 par le roi Louis XVI. Elle lui parvient scellée d’un grand sceau de cire verte.

 

« A ces causes, voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois, nous avons audit François Henri quitté et remis, et de notre grace spéciale pleine puissance et autorité royale, lui quittons et remettons par ces présentes signées de notre main, le fait ci-dessus exposé, avec toutes peines, amendes et punitions corporelles, civiles et criminelles qu’il pourrait avoir pour raison de ce, encourues envers nous et justice ; mettons à néant tous décrets, défauts, contumaces, sentences, jugements et arrêts qui s’en sont ensuivis ou peuvent s’ensuivre, le mettons et restituons dans sa bonne âme et renommée et en ses biens non d’ailleurs confisqués, satisfaction préalablement faite à partie civile si fait n’a été, et s’il y échet, imposant sur ce silence à notre procureur général, ses substituts présents et à venir, et à tous les autres. […] Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces présentes ».

 

Le droit de grâce constitue une des plus anciennes prérogatives judiciaires.  Son exercice consiste à remettre, pardonner, abolir, amnistier, aménager des sentences, ou interrompre des poursuites à la suite d’une supplique reçue. La délivrance de la grâce joue un rôle décisif lors de la genèse du pouvoir judiciaire royal. Une formule explicite des lettres de grâce le rappelle : « préférer miséricorde à rigueur de justice ». Tant par sa portée que par le nombre exceptionnel de ses délivrances, la grâce contre la peine de mort et vient fonder une justice royale marquée du sceau pacificateur de la rédemption et du pardon et tempère la sévérité des coutumes et des instances.

Les lettres de rémission pardonnent un suppliant pour des faits circonstanciés. Il s’agit ici, de très loin, du document le plus rencontré dans les registres. De « grace especial », le souverain écarte la rigueur de justice : « quictons, remectons et pardonnons ». Le crime n’est pas effacé : seules ses conséquences le sont. « Silence perpetuel » est alors imposé aux justices du royaume, avec mandement visant les juridictions compétentes. Ce geste bienveillant restitue le suppliant à la « bonne fame, renommée et honneste conversacion », c'est-à-dire restaure l’honneur d’une personne demeurant paisiblement dans le royaume.

 

 

Lettre de grâce et de rémission obtenue par François Henry de Condrieux au mois de septembre 1782 - Transcription [orthographe originale restituée]

Louis par la Grace de Dieu Roi de France et de Navarre à tous présents et à venir, salut. Nous avons reçu l’humble supplication du nommé François Henry, mousse sur un coche du Rhône, âgé d’environ 15 ans, faisant profession  de la religion catholique, apostolique et romaine, contenant que le coche sur lequel le supliant servait, étant arrivé le dimanche vingt-huit avril 1782, sur les trois heures du soir, vis-à-vis le lieu de Glun en vivarais, les bateliers qui en formaient l’équipage, laissèrent ce coche sur le bord du fleuve et passèrent sur la rive opposée pour en amarrer un autre. Le supliant resta seul pour garder ce coche et il s’y occupa à éplucher  une salade pour les gens de l’équipage qui devaient revenir.

Plusieurs enfants du village de Glun qui s’étaient rendus sur le bord du Rhône vis-à-vis du coche aperçurent le supliant, l’appelèrent plusieurs fois par dérision chat de barque et à différentes reprises, lui jetèrent de la terre et du sable dans sa salade. Le supliant, après les avoir priés de cesser, et voyant qu’ils continuaient, les menaça de tirer en leur criant gare le fusil, afin de les intimider. Ces jeunes gens lui défièrent de tirer. Le supliant prit alors le fusil que l’on a usage de garder dans chaque coche pour la sûreté publique ou quelquefois pour chasser sur la rivière. Il en passa le bout du canon par une fenêtre du coche par laquelle il n’était pas même assez haut pour voir sur le rivage. Comme il y avait plus de quatre mois qu’on ne s’était pas servi de ce fusil et que les bateliers avaient en soin de ne laisser aucune poudre dans le bassinet, le supliant crut qu’il n’était pas chargé. Il en fit plusieurs fois jouer les ressorts sans effet : mais le mouvement fit apparemment couler quelques grains de poudre par la lumière, et le supliant vit avec effroi partir le coup qui atteignit un des jeunes gens nommé François LUYTON, âgé d’environ treize ans, et lui fit à la tête une blessure dont il mourut quelques instants après. Le supliant au désespoir d’avoir occasionné la mort d’un enfant à qui il ne voulait même pas faire le moindre mal a été décrété, emprisonné et poursuivi à la requête du ministère public ; Néanmoins cet événement quelque funeste qu’il ait été, est la suite d’une simple querelle d’enfant. Le père de Luyton, malgré la douleur que lui a occasionnée la mort de son fils, n’a pu s’empêcher de s’attendrir sur le sort du supliant. Par acte du 2 mai dernier, il a renoncé à toute poursuite contre lui et même à toute demande de dommages intérêts. Le supliant plein d’espoir en notre clémence, ose se flatter qu’il trouvera en nous la même commisération et que nous ne lui refuserons pas des lettres de grace et rémission qu’il nous a très humblement fait supplier de vouloir bien lui accorder. A ces causes, voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois, nous avons audit François Henri quitté et remis, et de notre grace spéciale pleine puissance et autorité royale, lui quittons et remettons par ces présentes signées de notre main, le fait ci-dessus exposé, avec toutes peines, amendes et punitions corporelles, civiles et criminelles qu’il pourrait avoir pour raison de ce, encourues envers nous et justice ; mettons à néant tous décrets, défauts, contumaces, sentences, jugements et arrêts qui s’en sont ensuivis ou peuvent s’ensuivre, le mettons et restituons dans sa bonne âme et renommée et en ses biens non d’ailleurs confisqués, satisfaction préalablement faite à partie civile si fait n’a été, et s’il y échet, imposant sur ce silence à notre procureur général, ses substituts présents et à venir, et à tous les autres. Y donnons en mandement à notre conseiller lieutenant criminel en la sénéchaussée d’Annonay, dans le ressort de laquelle le fait ci-dessus est arrivé, que ces présentes nos lettres de grace et rémission il ait à entériner, et de leur contenu faire jouir et user le suppliant pleinement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements contraires. A la charge par lui de se mettre en état, et de vous présenter nos dites lettres pour être entérinées dans trois mois à peine d’être déchu de leur effet. Car tel est notre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces présentes. Donné à Versailles au mois de septembre l’an de grace mil sept cent quatre vingt deux et de notre règne le neuvième.

Signé LOUIS

 

Dossier de procédure criminelle. Archives départementales de l’Ardèche, 49 B 118.