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Le 11/05/2020 Actualités courantes

 

Déposé en 1920 par la Compagnie générale d’électricité pour le compte de la compagnie d’électricité de Marseille, le projet d'aménagement de la Basse Ardèche est en fait la réactivation d’un projet datant de 1908, porté par MM. Barbier, Lelièvre et Chalamel, ce dernier étant maire de Bourg-Saint-Andéol. Cette première tentative n’a pu aboutir et semble abandonnée en 1919. Mais à partir de 1920, la Compagnie générale d’électricité reprend l’initiative en déposant une demande de concession des forces hydrauliques de l’Ardèche en 1922. Sa finalité : alimenter en électricité la ville de Marseille. Pour cela, les ingénieurs prévoient d’utiliser la différence de niveau de 40 m entre Vallon et Saint-Martin-d’Ardèche. La chute serait obtenue par la construction d’un barrage, situé en amont du village de Sauze, aux dimensions impressionnantes : 50 m de hauteur, 220 m de large pour une capacité de 80 millions de m3. Le bassin de retenue, un lac de 28 km de long, relèverait le niveau de l’Ardèche de plus de 12 m sous le Pont-d’Arc !

 

Le Département place beaucoup d’espoir dans cet aménagement dans lequel il voit un intérêt public, celui « d’assurer dans la région du sud-est l’énergie électrique à profusion », en venant à l’appui des grandes forces hydrauliques des Alpes, et aussi une source de prospérité économique pour l’Ardèche. En 1922, la presse locale annonçant la réalisation prochaine des travaux, se vante même que « notre département aura la fierté d’apporter la lumière aux Marseillais ».
Grâce à un album photographique, nous savons que le maire de Marseille, Siméon Flaissières, visite les lieux du futur aménagement dans les gorges de l’Ardèche le 7 octobre 1922. Ce reportage photographique est le seul témoin de cette venue car les archives, tant ardéchoises que marseillaises, demeurent muettes à ce sujet. On y voit Siméon Flaissières, maire socialiste de Marseille depuis 1919, et ses collaborateurs arpenter les berges de l’Ardèche, s’installer dans un canot dans lequel il franchit des rapides et enfin terminer son excursion par un banquet en plein air ! Malgré l’absence de sources écrites, nous pouvons supposer que son intérêt pour ce projet est très lié aux travaux de modernisation des infrastructures qu’il mène à la même époque dans sa ville. La convention de concession de distribution publique d’énergie électrique entre la ville de Marseille et la société du gaz et de l’électricité de Marseille vient d’ailleurs d’être signée le 1er juillet 1922. Simplement, sa venue en terre ardéchoise a-t-elle peut-être été occultée par l’Exposition coloniale qui se tient à Marseille à la même période….

 

 Emplacement du barrage projeté sur la Basse-Ardèche, L’impartial ardéchois, 6 mars 1920. Archives départementales de l’Ardèche, PER 30 12.


Il en demeure que ce projet, qui ne suscite dans un premier temps que peu d’émois dans la population ardéchoise, devient controversé et occasionne notamment de farouches débats entre tenants de l’industrialisation et ardents défenseurs des sites et paysages.


Il est intéressant de noter que la préoccupation principale des premiers opposants au projet porte moins sur la nature du projet, qui condamne pourtant le Pont d’Arc à ne franchir qu’un lac paisible, que sur les conditions de sa réalisation. Dans une tribune parue dans Le Riverain agricole en octobre 1923, le syndicat de la Basse- Ardèche, dépositaire du premier projet, en appelle à ce qu’on nommerait aujourd’hui la préférence locale, dans des intonations chauvinistes exacerbées, et conclue : « Que votre mot de ralliement soit « L’Ardèche aux Ardéchois ! » De son côté, le Département demande seulement à ce que la hauteur des eaux sous le Pont-d’Arc soit limitée et la compagnie consent à ce qu’un abaissement du niveau ait lieu en été afin de dégager pleinement le site pour les visiteurs.

 Projet d’aménagement de l’Ardèche par la Compagnie générale d’électricité, visite des gorges par Monsieur Flaissières, maire de Marseille, 7 octobre 1922, album photographique. Archives départementales de l’Ardèche, 10 Fi.

 

Ce « racisme anti-marseillais » se retrouve avec encore plus de force dans un article très virulent de Louis Aurenche, paru dans le journal L’âme gauloise, et dont le titre est révélateur : « Un vandalisme dans l’Ardèche, l’industrie marseillaise contre le Pont-d’Arc. » 

Mais dans cet article paru en mai 1924, quelques jours avant l’approbation du projet par le conseil général, apparaît une nouvelle forme d’opposition, cette fois-ci sur la nature même de l’aménagement. En effet, Louis Aurenche y dénonce la « destruction certaine du plus beau site vivarois » qui n’a « pas son pareil au monde ».
Des intellectuels, des artistes, des écrivains s’émeuvent de la disparition de cette curiosité géologique et se mobilisent pour la sauver. Le Touring-club de France organise la résistance et en appelle même au président de la République. La commission des sites émet un avis défavorable, son président, Claude Madier, lui-même originaire de Bourg-Saint-Andéol, en ayant dénoncé les conséquences en séance : son attrait touristique s’en trouverait considérablement réduit, tout comme son intérêt historique et géologique. À l’appui de son rapport, il produit en particulier des cartes postales où figurent en trait noir la hauteur d’eau lorsque le barrage sera construit, et deux dessins aquarellés.

 

 Madier, Croquis du Pont-d’Arc avec le niveau prévu établi d’après les plans et cotes du dossier et une expérience déjà vieille de la région, 1924. Archives départementales de l’Ardèche, 8 S 127.

 

L’affaire perdure jusqu’en 1928 pour finalement être abandonnée, sans que l’on en connaisse la raison. Tout ceci pour le grand bien du site qui, classé au titre de la loi sur les monuments naturels et les sites depuis 1931, recèle de nombreux trésors archéologiques dont le plus célèbre est la grotte Chauvet, découverte en 1994 et inscrite en 2014 sur la liste du patrimoine mondial de l’Humanité !