Trésors de l'imprimerie. Les incunables des Archives

Documents d'exception, les incunables, du latin incunabulum qui signifie le « berceau » (de l'imprimerie), sont par convention les premiers livres imprimés entre 1450 et 1530.

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Présentation

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Ouvrage le plus ancien conservé aux Archives, imprimé à Strasbourg, vers 1470.

Le mot incunable vient du latin inculabulum qui veut dire "berceau". Il concerne les livres produits depuis l'invention de l'imprimerie par Gutenberg (1455) jusqu'à l'année 1500. Les livres édités dans les premières décennies du 16ème siècle (que l’on nomme "post-incunables") présentent les mêmes caractéristiques techniques (typographie, mise en page) que ceux publiés avant 1500. La mise en page du livre évolue en continu dans ces années, il faut attendre le milieu des années 1530 pour que les canons du livre moderne s’établissent.

L’imprimerie est née de l’invention des caractères typographiques mobiles par Jean Gutenberg. En 1455, cet orfèvre sort de ses presses, en association avec Pierre Schoeffer et Jean Fust, le premier livre imprimé : une bible dite "Bible à 42 lignes".


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Edition très soignée imitant de très près le manuscrit sur parchemin. On aperçoit la réglure pour permettre la position des caractères d’imprimerie. Les majuscules (lettrines) sont peintes à la main. Paul de Sainte-Marie, Scrutinio scriptuaru - BIB 2040

Les incunables ressemblent beaucoup aux manuscrits médiévaux. Le texte y est dense, souvent présenté sur deux colonnes avec de nombreuses abréviations. Des blancs sont laissés pour permettre aux possesseurs les plus fortunés de les faire illustrer par des enlumineurs. Peu à peu la typographie s’enrichit de caractères, de ponctuation, d’alinéas pour aérer le texte et donner des repères de lecture.


Les ouvrages présentés proviennent de la mise sous séquestre de la bibliothèque du Grand séminaire de Viviers suite à la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat (1905). En 1912, 3 500 volumes sont répartis entre quatre dépôts (les Archives départementales à Privas, les bibliothèques municipales d’Annonay, d’Aubenas et de Privas).

Les ouvrages les plus anciens et les plus rares sont transférés aux Archives départementales parmi lesquels les 42 incunables et post-incunables présentés. Imprimés entre 1470 et 1535, ils donnent un aperçu des caractéristiques des premiers livres imprimés. Du fait de leur provenance, ils traitent en majorité de religion (droit canon, commentaires des textes sacrés, spiritualité) mais aussi de littérature et de sciences.

Ces volumes permettent de rendre compte de l’évolution du livre jusqu’à sa forme moderne.

 


Le berceau du livre

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Incunable de 1486, imprimé sur 2 colonnes, avec les majuscules peintes par un enlumineur.

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La page de titre n’existe pas encore. Le livre commence par un Incipit ("ici commence") imprimé en rouge.

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Détail d’une lettrine, réalisée à l’encre rouge.

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Le texte finit par l’excipit (ici finit). "Ici finit la légende dorée dite la vie des saints en français…". Cet ouvrage est le premier livre imprimé en Français à Lyon.


Les imprimeurs

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La page de titre rappelle le nom de l’imprimeur et son adresse. La mise en page joue sur les couleurs et sur les formes. Les mots sont imprimés tantôt en noir tantôt en rouge et le texte a la forme d’un sablier.

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Page de titre d’une édition de Sébastien Gryphe, surnommé le "prince des libraires lyonnais".

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Dans les années 1530 la page de titre s’est établie. Celle-ci reprend, outre le titre et l’auteur, la date, le lieu d’édition et la marque de l’imprimeur (deux triangles opposés, dans chacun un ange portant un écu aux initiales IFJ). La typographie en rouge et noir, la mise en page en pyramide inversée, l’encadrement et la vignette rappellent les goûts ornementaux de la Renaissance.

Les vignettes illustrent le contenu de chaque ouvrage. Sur l’une on voit la rote (un des tribunaux de l’Eglise catholique) et sur l’autre un auteur en train d’écrire son livre. Son bureau lui permet de consulter plusieurs livres à la fois, de les comparer et d’en proposer une édition critique : c’est ce que l’on appelle la collation.


Les relieurs

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La reliure a une double vocation : celle d’assembler les cahiers d’un livre afin de les protéger des aléas du temps et celle de refléter les goûts de l’ornementation de chaque époque.Avec l’imprimerie, se développe le véritable corps de métier des relieurs. Le livre se popularise et les relieurs doivent faire face à une demande de plus en plus croissante. Jusqu’au 19ème siècle, leur activité reste artisanale. Le relieur est un professionnel des métiers du livre. Dans la chaîne de création, il intervient après l’imprimeur et donne au livre sa forme finale.

La Légende dorée est un best-seller depuis sa composition dans le dernier tiers du 13ème siècle. C’est le livre le plus édité après la Bible. Son auteur, Jacques de Voragine, dominicain dans un couvent à Gênes, y a consigné les légendes relatives aux saints. Cette édition in folio de Barthélémy Buyer fait partie des rares impressions en langue française.

 

Reliure pouvant être datée d’avant 1530 en veau blond sur ais de cartons. On distingue les attaches de lanières en cuir qui sont préférées aux fermoirs métalliques avec le développement de l’imprimerie. Les plats sont décorés en plein à la roulette. L’encadrement est une large bande de motifs géométriques, le rectangle central alterne quatre bandes verticales de motifs losangés et floraux. Ces ornements appartiennent au répertoire médiéval.

 

Reliure en veau brun décorée à la plaque et aux fers. Cette plaque signée, comme la plupart, appartient à un libraire : Denis Roce actif à Paris de 1490 à 1517. La plaque représente, en son centre, la marque de Denis Roce : un écu porté par deux griffons. Autour, quatre rectangles ayant pour sujets des griffons dans des volutes de feuillages et accompagnés d’une inscription. Sur le rectangle supérieur gauche, on peut déchiffrer la devise de Denis Roce « ala venture tout vie-nt apoient qui peult atendre » (À l'aventure, tout vient à point qui peut attendre). Dans les trois autres rectangles on déchiffre une phrase du psaume 85 « Ostende nobis domine misericordiam tuam et » qui rappelle la réforme grégorienne et l’auteur du livre (Grégoire Ier).
Pour ce livre, l’imprimeur est différent du libraire qui est le commanditaire. Deux marques figurent sur l’ouvrage : celle du libraire sur la reliure et celle de l’imprimeur au titre. L’ornementation de la couvrure a uniquement un rôle commercial. Alors qu’au 15ème siècle, très peu de reliures sont commandées par le libraire, celle-ci est assez exceptionnelle de part sa rareté mais aussi parce qu’elle s’accorde avec le texte qu’elle protège.

 

 

Après leur impression, les livres sont généralement envoyés chez le libraire en feuilles, c’est-à-dire non reliés, ou simplement cousus. C’est à l’acquéreur de faire la reliure selon ses goûts et ses moyens. Seules quelques reliures sont commandées par le libraire. Les livres peuvent ainsi être conservés, de façon sommaire, brochés ou bien reliés avec du parchemin. 
Ici on aperçoit le renfort des charnières avec un manuscrit médiéval, une carte à jouer collée au contre-plat signe des saisies révolutionnaires et des notes sur la page de droite.


Les filigranes des papetiers

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Le papier supplante le parchemin avec l’imprimerie au 15ème siècle. Il présente l’avantage d’être moins coûteux, moins rare et plus souple que la peau d’animal.Le papier est un élément important d’identification d’un livre ancien. Son examen permet non seulement de déterminer le format du livre mais aussi de dater l’impression et d’identifier le lieu de fabrication grâce à sa marque, le filigrane. C’est dans la péninsule italienne que les premiers moulins européens se sont installés au 14ème siècle. Il a fallu attendre le 16ème siècle pour que chaque pays ait sa propre industrie papetière de qualité.

Sur la 1ère image, on repère un filigrane typiquement italien, la lettre R surmontée d’une fleur.
Summa theologica, pars tercia, Saint Antonin, 1496 - BIB 2010

Sur la 2ème image, on voit une licorne, animal fabuleux le plus utilisé pour les filigranes. Il en existe de nombreuses variantes. Celle-ci correspond au type français : à tête de bouc mais avec des jambes courtes et une queue assez longue. Ce type de papier est fabriqué dans la région Nord-Est.
Expositio beati Gregorii pape super Cantica canticorum, Grégoire Ier, 1498 - BIB 2298

Sur la 3ème image, c’est une fleur à six pétales, c’est une représentation très commune en Lombardie. Dans un même livre de la même édition, plusieurs papiers de provenances différentes peuvent être utilisés. C’est le cas pour la somme Antonine.
Summa theologica, pars tercia, Saint Antonin, 1496 - BIB 2010


La Margarita philosophica

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http://www.archinoe.net/site/AD07/web/expositions_/incunables/28_bib2349.jpg

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Tout autour de la terre sont représentés douze visages pour symboliser les différents vents. Contrairement aux figures angéliques qui illustrent les autres mappemondes, chaque vent a ici son identité. Ici Zéphyrus, vent d’ouest, doux et agréable.

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Double page avec, à gauche la table des matières concernant la philosophie ; sur la page de droite, représentation de la tour de la connaissance : typus Grammatice. La grammaire entraîne un enfant. Les deux premiers étages sont consacrés à l'apprentissage

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Remarquez particulièrement Vulternus (vent de nord-est) qui souffle au-delà de l’Asie. Les lunettes qu’il porte sont peut-être la plus ancienne représentation gravée de cet objet (bien qu’il soit connu depuis le

La Margarita philosophica ou Perle philosophique est la première encyclopédie des sciences « moderne » de poche imprimée dans le monde germanophone. Publiée pour la première fois en 1503, elle a connu un grand succès et fut rééditée de nombreuses fois tout au long du 16ème siècle. L’auteur, Gregor Reisch, était prieur d’une chartreuse près de Fribourg. 
Ce manuel a été rédigé sous la forme d’un dialogue et est illustré d’un grand nombre de gravures selon l’esprit humaniste qui se développe alors en Europe. Les dix-huit gravures pleine page en plus des nombreuses vignettes dans le texte et des trois gravures hors-texte témoignent de l’importance accordée à l’illustration, qui est mise sur le même plan que l’écrit. Avec le développement des techniques de gravure et d’impression sur bois, les images peuvent être reproduites et diffusées en quantité et qualité, ce qui en fait de véritables outils d’instruction.


Ce livre contient une mappemonde en double-page sans titre se basant sur la Géographie de Ptolémée (composé au 2ème siècle apr. J.C.) mais faisant mention des récentes découvertes géographiques. Une légende notée sur l’isthme qui selon Ptolémée relie le sud de l’Asie à l’Afrique (en bas à droite de la carte), précise que « Hic non terra sed mare est : in quo mire magnitudinis Insule, sed Ptolemeo fuerunt incognite » : « Ici il n’y a pas de terre, mais la mer dans laquelle on trouve des îles qui étaient inconnues de Ptolémée ». Cette inscription peut être considérée comme la plus ancienne référence au Nouveau Monde sur une carte imprimée.
La mappemonde se base à la fois sur le système de représentation ptolémaïque des méridiens et parallèles et sur le système de navigation médiévale des portulans (lignes de vents).