12 août 1944 : la libération de Privas, première préfecture de France libérée par la Résistance - Première partie

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La rédaction et les signatures du procès-verbal d’installation de Jacques Sugny, dit Loyola, comme « chargé d’affaires préfectoral » du département de l’Ardèche en date du 12 août 1944 fixent sur le papier la hiérarchie des pouvoirs qui s’exerce en Ardèche au moment de la Libération au niveau national, régional, départemental et local. L’enjeu est de taille car il est primordial de mettre en place une nouvelle administration qui doit effacer les traces du régime de Vichy tout en « rééquilibrant » les rapports entre des pouvoirs locaux bien ancrés sur le territoire et un pouvoir central perçu comme plus lointain et encore fragile. Certains, par exemple, pouvaient s’effrayer de voir le Parti communiste prendre une place prépondérante au moment de la phase de transition des pouvoirs pendant que d’autres percevaient le pouvoir local comme l’expression de l’unité de la Résistance.

Depuis le mois de mars 1944, l’ensemble des forces de la résistance intérieure française (FFI) est placé sous l’autorité du général Koenig (1898-1970). Les FFI sont composées des membres de l’Armée secrète (AS) regroupant les mouvements de résistance non communistes et les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) représentant la branche armée du Front National de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (FN), une organisation politique créée par le Parti communiste français en mai 1941. Mais pour le pouvoir central, il fallait aussi organiser un pouvoir civil. A l’automne 1943, pour faire obstacle à l’organisation prévue par les Alliés pour administrer les territoires libérés (AMGOT), le gouvernement provisoire d’Alger (GPRF) a décidé la création des CDL : les Comités départementaux de libération destinés à remplacer l’administration de Vichy. En Ardèche, la présidence du CDL est dévolue à l’instituteur Jean Pierre Beaussier alias « D » en tant que représentant des Mouvements Unis de la Résistance (MUR) nés de la fusion de trois grands mouvements de résistance non-communiste en janvier 1943. A l’échelle locale, des relais sous la forme de Comité locaux de libération (CLL) se mettent en place. A Privas, le CLL est créé le 15 novembre 1943 avec à sa tête l’instituteur Ludovic Bacconnier (1879-1956), militant socialiste puis communiste. Le CLL de Privas remplacera le conseil municipal de Privas au moment de l’entrée des FFI à Privas, le 12 août 1944.

Le premier nom qui apparaît sur le document est celui du commandant Vanel, délégué militaire départemental et représentant d’Yves Farge (1899-1953) alias Grégoire, désigné comme Commissaire de la République pour la Région Rhône-Alpes par le général de Gaulle. Ce n’était pas une évidence car Vanel étant « un étranger » à l’Ardèche, il aurait pu être remplacé par le responsable local de l’Armée secrète (AS) en Ardèche, Pierre Fournier alias commandant « L » et membre du réseau Cochet dès octobre 1940. Mais Pierre Fournier avait déjà été éliminé du jeu politique la veille de l’investiture du nouveau préfet issu de la Résistance.

Le commandant Vanel, de son vrai nom Jean-Paul Vaucheret (1910-1946), est un agent du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) créé en juillet 1940 par le général de Gaulle. Parachuté le 15 juin 1944 en Ardèche au cours de la mission « Pectoral », Vanel a pour mandat de conseiller les responsables FFI et de les approvisionner en armes. Mais comme le fait remarquer Bruno Chaix, « cet officier expérimenté découvre le peu de professionnalisme de l’état-major FFI de l’Ardèche et croit nécessaire de prendre les affaires en main alors que ce n’est pas son rôle, qu’il est mal informé de la situation des unités FFI et enfin qu’il n’a pas de moyens de commandement1». Selon le témoignage de Pierre Fournier, le commandant Vanel aurait été dépassé par les événements, les 5 et 6 juillet 1944, lors de l’attaque du Cheylard par les forces allemandes et aurait confié la défense de la ville au capitaine René Calloud, ingénieur des Ponts-et-Chausséeset chef d’état-major des FFI de l’Ardèche.

Après le désastre de la bataille du Cheylard, les 5 et 6 juillet 1944, la nécessité de mettre en place un état-major unifié fut une évidence selon Pierre Fournier. Le 18 juin 1994, au cours d’un colloque organisé à Privas sur Résistance et Libération, il déclarait : « Avec nos amis FTP, nous avons pris conscience ce que si nous avions eu un commandement unique, si nous avions coordonné nos actions plutôt que de les superposer comme cela, nous aurions été plus efficaces, aurions évité des pertes3.Cet état-major FFI se constitua avec le concours du délégué militaire d’Alger : le colonel des FFI Henri Provisor (1917 à Tarnow-2002) alias Darciel, responsable militaire de la Région Rhône-Alpes. Le 12 juillet 1944, il enlève à Vanel le commandement opérationnel des armées et crée un état-major unique aux ordres du commandant Calloud avec comme chef d’état-major adjoint le commandant Augustin Ollier (1912-1956) alias Ravel, chef des Francs-tireurs et partisans français (FTPF). Pour René Calloud, « cette tentative de fusion entre AS et FTPF a jeté un trouble considérable et, intervenant en pleine bataille, suscite au commandement des difficultés très sérieuses4 » et Ducros de rajouter : « Darciel est un « sous-marin » communiste qui joue à l’insu de tous un rôle conforme aux directives du Parti communiste au sein de l’état-major régional5 ». Le 11 août, c’est Pierre Fournier qui fait les frais de ces jeux de pouvoir. Il est évincé par Darciel au profit de Ferdinand Janvier (1890-1964), directeur des carrosseries Besset à Annonay, qui récupère la charge de chef de l’Armée secrète en Ardèche6. Janvier a des relations dans les milieux résistants lyonnais et notamment, depuis 1942, avec Franc-Tireur7.



1CHAIX, Bruno, L'occupation allemande en Ardèche (1942-1944) et la retraite de la Wehrmacht du Midi de la France en août 1944, éditions Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, 2017, p. 79.

2DUCROS, Louis-Frédéric, Montagnes ardéchoises dans la guerre, tome III, Combats pour la Libération, imprimerie Dauphiné-Vivarais, Romans, 1981, p. 156.

3FOURNIER, Pierre, « La bataille du Cheylard et la libération de Privas » dans Résistance et libération en Ardèche, Actes du colloque de Privas en date du 18 juin 1994, p. 77.

4DUCROS, op. cit., p. 270.

5DUCROS, op. cit., p. 269. Après la guerre, Henri Provisor écrit dans la revue Nouvelle critique, une revue créée par le Parti communiste en 1948 destinée à faire connaitre les points de vue idéologiques du PCF dans les milieux intellectuels et scientifiques.

6DUCROS, op. cit., p. 270.

7DUCROS, Louis-Frédéric, Montagnes ardéchoises dans la guerre, tome II, p. 100. Le mouvement de résistance Franc-Tireur se développe par le biais des relations familiales, amicales ou professionnelles.